Faust à l'Opéra de Séoul 1948...
Christiane Tchang-Benoît, Vice Présidente d'honneur de l'Association FRANCE-CORÉE, raconte comment son pére Tchang Kil-yong qui avait fait ses études en France et épousé une Française dans les années 1930, passionné de grande musique et assidu du Palais Garnier, se mit en tête de traduire le livret de M. Carre et J. Barbier en coréen et, à peine revenu au pays, de monter à Séoul pour la première fois en Corée, cet opéra lyrique français... Un triomphe!
"Hola Baccapsio! Soul, Soul, - Sa - Sio!..." ainsi s'exclame le Méphisto coréen s'adressant à la statue de Bacchus dans la fameuse scène de l'auberge...
Le Courrier de la Corée 22 décembre 1986 :
Madame Christiane Tchang-Benoît, avocat à la Cour, qui nous avait envoyé une photo de Sohn Kee-chong (le Courrier du 27 janvier) nous a aimablement adressé une lettre et deux photos, à l'occasion du centenaire des relations diplomatiques franco-coréennes.
"À l'occasion des fêtes du centenaire des relations diplomatiques et culturelles entre la France et la Corée, j'ai fait don au Musée de l'Opéra de Paris, d'une grande et très ancienne affiche de l'opéra de Faust de Gounod qui fut chanté pour la première fois à Séoul en 1948 par des chanteurs lyriques coréens; mon père, TCHANG Kil-yong avait traduit le livret de cet opéra qu'il mit en vers et il surveilla les répétitions durant de longues semaines, ma mère, de son côté, ne resta pas inactive et assistée d'habiles couturières coréennes elles firent les costumes de toute la troupe, et créérent donc l'habillement de Faust, Marguerite et de Méphistophélès.
Ainsi que je l'ai indiqué en mars dernier à la télévision coréenne, ce fut un très grand succès et un apport intéressant dans la culture lyrique des deux pays.
Du vivant de ma mère, j'avais remis au directeur de l'opéra alors le Grand LEBERMANN une photographie (la même que je vous envoie ci-jointe) et il en fut très heureux en 1978 (j'honorais ainsi la mémoire de mon cher père).
Lorsque ma mère est partie rejoindre mon père il y a trois ans en 1983, j'ai pensé, ayant retrouvé l'affiche, en faire don à l'Opéra de Paris, pour marquer une fois de plus les liens d'amitié profonde entre les deux pays et à l'occasion du centenaire, j'ai fait cette remise sous les auspices et avec la collaboration de l'Association France-Corée..."
Ch.T-B
La première représentation du Faust de Gounod en Corée 1948
À cette époque, la Corée, Choson, en coréen, sortait d'une occupation japonaise ayant duré quarante années.
Choson redevenait une nation, pauvre nation coupée, tronçonnée en deux zônes, mais nation quand même, le peuple coréen aspirait avec avidité à toutes les connaissances dont il avait été frustré pendant ces longues années de douloureuse humiliation et de silence.
Dans le monde qui se relevait lentement des suites de la guerre 1939 - 1945, les communications étaient peu développées, la télévision rare n'était pas encore à la portée de tous, les contacts sur le plan artistique, littéraire, à leurs débuts.
Mon père TCHANG Kil-yong était revenu dans son pays dès la première heure, accompagné de ma mère française qu'il avait épousé en France dans les années 1930 et nous, les trois enfants, nous venions de Pékin où nous avions vécu cinq ans.
Avec l'aide d'amis coréens francophones et de missionnaires français, mon père avait ouvert un centre culturel franco-coréen, où le français était enseigné, et des manifestations artistiques amorcées, on y joua une pièce de Courteline par des étudiants coréens parlant français.
Mon père qui aimait passionnèment la grande musique et qui avait été, durant son séjour en France, où il était venu faire ses études, un assidu du Palais Garnier où il emmenait ma mère, elle aussi musicienne amateur, elle avait une très jolie voix de soprano léger, décida de faire plus. Il traduisit le livret de M. Carre et J. Barbier de Faust en coréen, et se mit en quête des chanteurs et des musiciens qui accepteraient de former une troupe pour créer cet opéra lyrique français à Séoul.
Ainsi, la grande musique française apporterait aux Coréens l'envie de mieux connaître la France.
Le peuple coréen est un peuple au naturel artistique, dans le domaine des arts il était bien connu des pays voisins , pour les belles céramiques céladons inimitables. C'est un peuple musicien aussi et il existe de très bons chanteurs et d'excellents musiciens qui ont su s'adapter à la musique européenne.
Mais c'était la première fois qu'une expérience de ce genre était tentée. Notre maison, qui était assez vaste, située près d'une colline de Séoul (Nam San), servait parfois de lieu de répétition pour les chanteurs et les musiciens, nous vivions dans une atmosphère très particulière, baignant dans la musique de Gounod dont nous connaissions, nous les enfants, bientôt tous les airs., les voisins également. Personne ne se plaignait, dans l'attente du grand événement.
Le grand jour arriva enfin, si je m'en souviens bien, je crois que ce fut au début de l'automne, il faisait encore très beau et très chaud, l'automne était toujours très agréable à Séoul.
Devant le théâtre principal de Séoul, une foule immense et enthousiaste attendait depuis des heures de pouvoir y entrer, il y avait eu des files d'attente depuis l'avant veille devant les guichets pour avoir des billets. On refusa du monde, et certains s'installèrent devant le théâtre, simplement pour être là. Un cordon de policiers surveillait afin d'éviter trop de bousculades. Les gens étaient tassés, serrés, au bord de l'asphyxie. À l'intérieur, régnait une température caniculaire, l'enthousiasme était à son comble, on parlait, on riait, les gens s'interpellaient gaiement, puis, soudain, le silence absolu.
Alors s'élevèrent les premières notes de la musique éternelle, fraîcheur et lyrisme, du Faust de Gounod.
Le rideau se leva lentement, la scène, quoique d'une bonne longueur manquait un peu de hauteur et de profondeur si on doit la comparer au Palais Garnier, mais les décors avaient été conçus avec goût, ma mère avait participé à leur création ; douée pour la couture elle avait en outre, avec des couturières coréennes, imaginé et entièrement fabriqué les costumes des chanteurs et des figurants. Elle avait puisé dans sa garde-robe pour trouver des dentelles pour le bonnet et le corsage de Marguerite, elle avait fabriqué des chapeaux et, pour le reste, s'était débrouillée en courant les boutiques de tissus de Séoul.
Cette photo, prise en 1948, présente des costumes créés par Madame TCHANG, la mère de Christiane (àdroite), en compagnie de deux amies coréennes.
À un moment, la scène se passe dans l'auberge où sont les étudiants amis du frère de Marguerite, Méphistophélès fait sortir du vin d'un vase que porte une statue de Bacchus. Toute cette scène avait été très bien réconstituée, y compris la statue ; quant à l'interpellation par Mephistophélès, en coréen cela donnait "Hola, Baccapsio ! Soul, Soul, -Sa -Sio !" "soul" veut dire vin, ou alcool, en coréen.
Dans une autre scène, Méphistophélès évoque Marguerite pour tenter Faust, les lumières des projecteurs étaient toutes dirigées sur la toile du fond et faisait apparaître par transparence la silhouette de la jeune fille filant sa quenouille et tournant son rouet (ma mère avait réussi où faire fabriquer un rouet), les spectateurs étaient ravis car, pour l'époque, c'était une trouvaille.
Le chanteur qui créa le rôle de Méphistophélès avait une personnalité tonitruante. C'était un excellent chanteur doué d'une voix puissante, vibrante. Il cultivait le côté sarcastique de son personnage avec conviction, bondissait, prenait toute la scène. Son costume de velours noir mettait en valeur sa carrure athlétique. Il dominait, il suscitait l'enthousiasme, jamais on n'avait vu un si beau diable, il rendait l'enfer sympathique par sa vitalité exceptionnelle, fait qui troubla un peu les braves missionnaires français pour convaincre par la suite leurs ouailles que le vrai diable n'avait pas si belle allure et était beaucoup plus sournois...
Marguerite était brune et frêle, avec une voix de rossignol aérienne mais ferme, elle aussi se fait un beau succès; elle avait la réserve et la pudeur de la Marguerite idéale.
Faust était un très bon chanteur un peu écrasé par son partenaire Méphistophélès mais il s'en sortait très convenablement.
Le triomphe final fut un délire: bissés, rappelés par des centaines de voix, les chanteurs n'arrivaient plus à quitter la scène. Des spectateurs enthousiastes étaient montés sur la scène pour leur serrer les mains, les porter en triomphe, des gerbes de fleurs étaient lancées d'un peu partout, les musiciens reprisrent leurs instruments et jouèrent de nouveau, on les applaudissait à tout rompre. Partout on entendait des exclamations coréennes: "Chota! Chota! (c'est bon) Ipoum-Ni-Da (c'est très beau)".
Dehors, ceux qui n'avaient rien vu ni rien entendu, applaudissaient et, criant leur joie, ils attendaient un autre jour pour assiter à leur tour; car Faust de Gounod, c'était l'évènement dans cette ville coréenne des années 47/48, qui ne connaissait pas encore les vertiges d'une grande ville moderne et vivait simplement.
Des subventions du Ministère de la Culture aidèrent par la suite afin que Faust fut entendu de tous, et pendant plus d'une année, cet opéra fut chanté à Séoul.
Il fut décidé que la troupe des chanteurs et musiciens partirait en tournée en province afin que ceux qui ne pouvaient se déplacer puissent, eux aussi, avoir cette joie d'entendre la grande musique française.
Ceci se situait vers 1948 - 1949.
Mon père, entretemps, avait décidé de retourner en France, ma mère avait très envie de revoir ses parents, nous étions depuis près de neuf ans en extrême-orient, ma sur était née à Pékin.
Mon père ayant obtenu un poste d'attaché culturel à Paris, nous prîmes le bateau au port de Pusan pour Hong-Kong, où nous devions, en principe, prendre le bateau français "Champollion", mais finalement le retour se fit par "Air France".
À Paris, mon père recevait de temps en temps des nouvelles de "son" opéra; Méphistophélès écrivait et le tenait au courant.
Et puis un jour, plus rien, c'était fin juin 1950: la guerre fratricide avait éclaté en Corée...
Christiane TCHANG-BENOÎT
(France-Corée, Mars 2002 - webmestre: france-coree.lcr@wanadoo.fr )
SOMMAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Retour table Art et Littérature