andré fabre, historien de la corée
   Par Michaël de SAINT-CHERON
   Essayiste, membre du P.E.N. club français
   
   Histoire de la Corée
André FA B R E
L'Asiathèque, collection « Langues & Mondes », 
2000, 424 p., 170 F.

Tout ceux qui s’intéressent de près à la Corée, en France, connaissent le nom et la personne d’André Fabre, coréanologue émérite, polyglotte, qui, après avoir passé cinq années en Corée dans ses années de formation, fut à la fois professeur et directeur de la section d’études coréennes de l’INALCO (Langues’O), fonctions qu’il occupa jusqu’en 1998. Tant d’entre nous furent ses étudiants et lui doivent beaucoup. Le Prix culturel France-Corée 2000 vient justement de lui être attribué, récompensant toute une vie consacrée à l'étude et à l'enseignement de la civilisation coréenne .

Mais l’une des spécificités de l’éminent linguiste est de ne s’être pas contenté d’enseigner cette langue et cette civilisation à Paris, mais d’avoir été l’enseigner également à l’université de Qysilorda (Kazakhstan), où il put étudier les questions liées à

l’ethnolinguistique, comme celles touchant notamment à l’évolution ou à l’involution de la langue parlée par les Coréens d’Asie centrale.

Les publications récentes d’André Fabre dans le domaine de la langue, pour ne pas dire de la linguistique, (Manuel de coréen , L’Asiathèque, 1997, avec Mme Shim Seung-Ja et Le Coréen sans peine , Assimil, 1999, avec Mlle Song Eui-Jong) sont l’aboutissement de quelque trente années et plus encore, passées à l’étude et à l’enseignement de cette langue, de la famille des langues ouralo-altaïques.

 

Être l'un des tout premiers historiens français de la Corée, tel n'est pas le moindre mérite d'André Fabre, qui publie aujourd'hui cette Histoire de la Corée, fruit de vingt années de recherches .

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Entrons dans le livre. On peut appeler « histoire » la longue suite de guerres, de conquêtes et de défaites qui ont permis à un peuple de se construire. Mais ce serait oblitérer ce qui fait l'âme d'un peuple et d'un pays, le domaine de la transcendance, qui se développe à travers le fait religieux et artistique .

Du fait de sa situation géographique, Chosõn a plus souffert, au cours des deux derniers millénaires, que tant d'autres pays, qui étaient soit au nombre des peuples dominateurs, soit au nombre des pays de même taille, mais sans voisins contempteurs. A suivre l'analyse d'André Fabre, il apparaît très nettement que c'est vers le IVe siècle que le pays de Choson prit forme du double point de vue historique et politique avec l'émergence de Ko Choson. Après avoir retracé avec minutie les racines préhistoriques de la péninsule, en prenant en considération les toutes dern i è re s d é c o u v e rtes des archéologues, André Fabre nous apprend que le peuple qui l'occupe est « un rameau de la tribu des Suksin », originaire de Mandchourie. Au cours des premiers siècles de l'ère occidentale, les contours géopolitiques du pays se dessinent plus nettement avec l'apparition des Trois Royaumes, dont le premier d'entre eux, Koguryo (37 AC), deviendra le royaume de Koryo, éponyme du pays que nous connaissons.

André Fabre retrace ces siècles «barbares», au cours desquels, tour à tour, Koguryo., Paekche, Silla, puis Silla unifié, doivent a ffronter les invasions à répétition et la domination des Chinois puis des Mongols, et des Japonais au XIIIe, au XVIe et au XXe siècles. Les premiers quittent la péninsule en 313 après plusieurs siècles de présence. Leur départ ne marque pas pour autant la fin de leur rêve de conquête et plus encore, d’écrasement du royaume de Koguryo., ce qui ne pourra finalement s'accomplir qu'à la suite d'une alliance politique et militaire entre les Tang et Silla, mésalliance s'il en est, qui finira tout de même par se renverser en faveur de Silla, qui chassera les armées Tang du territoire de Choson en 676. André Fabre insiste sur le fait que cette victoire sur les Tang est bel et bien une date historique pour toute l'histoire de la Corée.

Comme tous les déclins des grands empires de l'Antiquité, qu'il s'agisse du fabuleux empire d'Alexandre de Macédoine, de Rome, de l'Egypte, de la Grèce, le déclin de Silla est particulièrement évocateur. Alors que l'aristocratie militaire avait réussi à réaliser l'unification, une fois celle-ci achevée, la chute ne se fit pas attendre, selon le proverbe « le Parthénon n'est pas loin de la roche tarpéïenne ». Le royaume de Silla (VIIe- VIIIe siècles), dont l'apogée fut contemporain du si puissant empire des Tang, fut une période capitale dans l'évolution de la Corée, marquée par une formidable évolution intellectuelle, scientifique et artistique, ainsi que par une expansion de son commerce extérieur. Le VIIe siècle fut celui de l'édification de l'observatoire astronomique de Ch'omsongdae, le plus ancien du monde, de l'adoption du confucianisme, et de la création de la première université confucianiste, tandis que le VIIIe siècle fut celui de la construction du temple Pulguksa, l'un des chefs-d'œuvre de l ' a rt bouddhique coréen, et de la grotte de Sokkuram. Ce fut quelque trois siècles plus tôt, en 372, que le bouddhisme fut adopté par Koguryo, l’un des trois royaumes fondateurs, dont André Fabre écrit qu'il ne reste pratiquement rien de la riche civilisation.

Ce qui résista pourtant aux armées des Tang et de Silla, et à l'effacement des traces de ce patrimoine, est précisément le bouddhisme, sa philosophie et la littérature sacrée, dont témoignent superbement treize siècles d'art bouddhique coréen. L'éminent coréanologue a pourtant raison de souligner que ni le bouddhisme, ni le confucianisme – nous pourrions ajouter : ni non plus le christianisme – ne réussirent à éradiquer le chamanisme originel de l'âme coréenne.

C'est avec Koryo. que la Corée connut l'une de ses époques où culminèrent les valeurs intellectuelles et créatrices en de nombreux domaines. Ce fut le temps de la propagation des textes bouddhiques.

Le
Tripitaka fut deux fois gravé, d'abord sous le roi Hyongjong, en 1019, ensuite en 1236, après la destruction par le feu du premier. Au total, quatre-vingt un mille cent trente-sept planches furent alors gravées ; elles sont conservées au temple de Haeïnsa.

La « Renaissance » du Royaume ermite fut marquée par le règne du roi Sejong (1418-1450), en qui André Fabre voit le « roi soleil » de la Corée. Il modernisa l'administration, favorisa l'agriculture, fut l'initiateur du han’gul, la langue coréenne pour tous, développa les sciences et les arts. Une ombre pourtant à son règne, reste sa persécution du bouddhisme qu'il entama, pour appuyer son pouvoir sur les confucéens.

Nous passerons très vite sur les invasions japonaises à répétition, narrées dans le détail, mais non sans dire un mot de l'héroïque amiral Yi Sun-Sin (1545-1598), redoutable stratège, qui inventa le premier cuirassé du monde, connu sous le nom de « bateau - tortue » , avec lequel il remporta d'extraordinaires victoires. Il ne fait pas de doute, au regard d'André Fabre , que c'est bien grâce à «l'efficacité de la marine de guerre coréenne et [à] son chef prestigieux» que les armées nippones ne purent envahir la péninsule, il y a quatre siècles.

Les XVIIe et XVIIIe siècles furent marqués à la fois par l'agression étrangère occidentale du royaume ermite et par l'arrivée des premiers missionnaires catholiques.

L'analyse qu'André Fabre propose du dernier siècle, le plus tragique de tous, depuis l'assassinat de la reine Min (8 octobre 1895) et l'occupation japonaise jusqu'à la guerre fratricide de 1950 et la déchirure de la péninsule en deux États ennemis, est des plus percutantes. Si la lâcheté occidentale fut à son comble au moment de la déclaration d'indépendance du 1er mars 1919, proclamée par les hérauts coréens de la résistance non-violente, ne peut-on penser, a contrario, que l'engagement militaire des troupes des Nations Unies, en 1950, fut l'enseignement – si enseignement il y a ! – de l'infamie des accords de Munich (1938), de la tragédie polonaise et de l'abandon quasi total des Juifs, pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Évoquant à la fin de son livre la rencontre historique entre Kim Dae-jung et Kim Jong-il de l’été 2000, André Fabre rappelle, en paraphrasant Hahn Pyong-Hwan, ancien Secrétaire de la Présidence sud-coréenne, assassiné lors de l'attentat de Rangoon, en 1983, que la Corée dort dans le même lit que quatre éléphants : la Chine, la Russie, le Japon et les Etats-Unis. Autant dire que sa marge de manœuvre est des plus faibles et qu'une réunification ne pourra se faire que lorsque au moins les deux premières puissances du monde l'accepteront : les USA et la Chine.

Le lauréat du Prix culturel France-Corée 2000, a enrichi son ouvrage de seize planches en couleur, dont la plupart sont des cartes historiques, géopolitiques et administratives de la péninsule, et le livre de se refermer sur un dernier chapitre consacré à la géographie du pays.

Grâce au professeur André Fabre, ceux qui désirent approfondir leur connaissance de la Corée auront enfin à leur portée un ouvrage tout à la fois riche et unique, autrement dit indispensable.

Michaël de SAINT-CHERON

 


Extrait de la revue "Culture Coréenne" N°57 - Avril 2001
      Directeur de la publication: SOHN Woo-hyun
        Rédacteur en Chef: Georges ARSENIJEVIC
   Centre Culturel Coréen  - Ambassade de Corée en France
   
      FRANCE-CORÉE - L.ROCHOTTE Octobre 2002

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