CANICULE, de l'italien "canicula", petite chienne...
En Pays Latins, la "canicule" est assimilée à une période de grandes chaleurs. De fait, si nous en croyons le Petit Robert, le nom de CANICULE a été donné à l'étoile SIRIUS par les Astronomes vers l'an 1500.
Sirius, ou Canicule, la Petite Chienne, se lève et se couche avec le Soleil du 22 juillet au 23 août, période de l'année où la chaleur est la plus forte dans l'hémisphère Nord.
Il est très étonnant de constater que nos Amis Coréens ont fait les mêmes observations et les ont dénommées de la même façon, tout en tirant des justifications alimentaires traditionnelles fort différentes: ils mangent du chien tandis que nous nous délectons de crèmes glacées...
(L'article de LC_R, webmestre: Cave Canem )
__________________________ Vous savez que les Coréens ont un calendrier lunaire. Selon ce calendrier, il y a 3 vagues de canicule dans une année: tcho-bok (première chaleur), joung-bok (chaleur intermédiaire), mal-bok (dernière chaleur). Et le 10 août dernier était le jour de la dernière grande chaleur.
Ces jours-là, les Coréens qui mangent de la viande de chien sont particulièrement nombreux.
Il faut dire que des plats à base de la viande canine sont plébiscités par de très nombreux habitants péninsulaires, majoritairement masculins, puisqu'il semblerait que cette viande ait aussi la vertu de renforcer la virilité. Cette pratique avait mis en colère Brigitte Bardot à un point tel qu'elle a adressé une lettre au président de la Corée du Sud, menaçant le boycottage des produits coréens il y a quelques années (1994)... Elle devait recommencer fort insolemment en 2002 à l'occasion de la Coupe du Monde de football, froissant les Coréens...
Communiqué par Mi-young Lee, France-Corée, 2000.
Asie CREOPS Tome III SAVOURER GOÛTER Extraits: pages 373 à 377 Un article de Marc ORANGE, directeur des Études Coréennes Collège de France
Brigitte BARDOT qui connut autrefois une certaine gloire en Corée, y a retrouvé ces dernières années un regain de célébrité. Dans le cadre de ses campagnes pour la défense des animaux, elle s'en est prise à la Corée(1), "pays barbare" par excellence, puisqu'on y mange du chien. Aussi, la chaîne de télévision S.B.S., dans une série d'émissions intitulée Ku kosi algo sip'ta (Je veux savoir ce que c'est), a-t-elle présenté, le 14 mai 1994, une émission consacrée à la consommation du chien.
Cette émission(2) se voulant impartiale, il fut possible d'y entendre l'actrice susnommée, le président de l'Association belge des consommateurs, M. Roland Gilet, la présidente française de la Société protectrice des animaux ainsi que l'actrice Sophie MARCEAU(3). Cette émission avait aussi le mérite de présenter la situation coréenne sans détours même si la fin pouvait apparaître comme un plaidoyer pro domo du type: "C'est vrai on mange du chien, mais regardez ce qui se passe dans d'autres pays".
De l'enquête menée, il ressort que tous les Coréens ne mangent pas du chien puisque plus de la moitié des sondés avouent n'en avoir jamais consommé. Quant à ceux qui avaient répondu affirmativement, beaucoup n'y avaient goûté qu'une fois dans leur vie sans vouloir réitérer cette expérience. Enfin, ceux qui disaient en manger régulièrement étaient peu nombreux. On peut donc penser que la consommation de chien est relativement limitée même si le nombre de chiens tués à destination alimentaire peut paraître élevé: deux millions de chiens (rappelons que la population de la Corée du Sud dépasse les quarante-quatre millions d'habitants).
La viande de chien est vendue dans des restaurants appelés posint'ang. Ce mot, qui vient du chinois et que, mot à mot, on pourrait traduire par "la soupe qui revigore le corps", désigne en fait la soupe à base de chien. C'est donc le nom de la soupe qui sert à désigner le lieu où l'on sert du chien(4). La soupe est la manière traditionnelle de l'apprêter, mais on le mange aussi couramment grillé, à la manière du pulgogi, c'est-à-dire comme de la viande de buf coupée en fines lamelles qui ont macéré quelque temps dans une sauce particulière, et que l'on fait griller soi-même sur un barbecue disposé sur la table(5).
L'approvisionnement de ces restaurants est sans doute ce qui laisse le plus à désirer tant sur le plan de l'abattage que sur celui des conditions sanitaires. En effet, de façon traditionnelle, le chien est pendu mais la pendaison étant rarement faite dans les règles de l'art, il faut achever l'animal d'un coup de bâton(6). Les plus chanceux n'en reçoivent qu'un mais certains préposés à l'abattage ne font pas preuve d'une habileté remarquable. A côté de cet abattage semi-clandestin, il existe, au sud de Séoul, à Sognam, un marché sinon officiel du moins officieux où l'abattage se fait de façon moins barbare et où les conditions sanitaires sont bien meilleures(7). Le problème de l'abattage qui a priori ne manque pas de heurter les Occidentaux, ne semble pas gêner les consommateurs de cette viande. Mais il faut noter ici que si certains en font un usage courant tout au long de l'année, c'est lorsque les premières chaleurs arrivent au début du mois de juillet puis durant les deux mois suivants que la consommation est la plus importante. C'est, dit-on, une viande très digeste(8), riche en protéines mais à faible pouvoir calorifique et qui en conséquence permet de diminuer la transpiration. Il est d'ailleurs recommandé de ne pas boire froid après avoir fait un repas dont le plat principal est le chien.
A côté de ces arguments diétético-culinaires, il est aussi intéressant d'entendre les arguments et justifications de ce type de consommation. M. Roland Gilet fait remarquer au cours de l'émission que la Corée est un pays bouddhiste et qu'il ne comprend donc pas comment ses habitants peuvent massacrer des animaux compagnons naturels de l'homme. Considérer la Corée comme un pays essentiellement bouddhiste est une preuve de méconnaissance du pays. Le bouddhisme, introduit en Corée en 372, y a connu un développement important. Il y devint même, sous la dynastie Koryô (935-1392), religion officielle. Mais lorsque cette dynastie fut remplacée par celle des Yi (1392-1910), un des premiers travaux de son fondateur fut de confisquer les biens et les terres appartenant aux monastères et de réduire à l'état laïc la quasi totalité des moines. Cette action stoppa net le développement du bouddhisme et même si pendant les cinq siècles que dura cette dynastie, certains rois firent preuve d'un esprit de tolérance envers cette religion, elle ne retrouva jamais l'importance qu'elle avait eue précédemment. On assiste à cette époque à un retour en force du confucianisme qui va être considéré comme le fondement de la philosophie de l'État et comme la source de toute conduite. Les Coréens d'aujourd'hui disent d'ailleurs que leur pays est confucianiste même s'il s'agit d'un vocable pratique pour englober des comportements assez disparates. Quoiqu'il en soit, c'est dans les Classiques chinois que les défenseurs de la consommation de chien trouvent des arguments. Confucius, disent-ils, mangeait du chien et la viande de chien fait partie de celle que l'on offre en sacrifice. Ils se référent au Liji (Mémoires sur les bienséances et les cérémonies) et au Yili (Cérémonial). On peut lire dans le premier la phrase: "On faisait bouillir de la viande de chien à l'est, pour imiter le principe yang dont le souffle s'élève d'abord à l'est."(9) et dans le second plusieurs passages dont celui-ci: "L'animal servi sur une petite table est un chien, (parce que le chien sait discerner les hommes. Un officier doit avoir ce discernement). On fait cuire le chien au nord-est de la plate-forme. "(10). C'est donc un usage chinois qui a été adopté, parmi d'autres, puisque la Chine a longtemps servi de modèle.
Il nous semble pourtant qu'un aspect important dans la consommation de viande de chien est celui de la convivialité. Lors de l'émission, par exemple, on voit une vieille femme, paysanne, qui vient en ville pour acheter un jeune chien. Ce n'est pas dans le but de s'en faire un animal de compagnie mais dans celui de l'offrir en repas à ses enfants lorsqu'ils viendront la voir. Un autre exemple peut être trouvé dans une nouvelle de l'écrivain Hwang Süg- yoog intitulée Twaejikkum (Rêver de cochon)(11). C'est l'histoire des habitants d'un quartier misérable dont l'un d'entre eux est un chiffonnier qui a ramassé un chien tué par une voiture. Un de ses amis se réjouit qu'il ait trouvé ce qui, justement, leur avait manqué pendant la dernière canicule. Après avoir fait cuire le chien, tous les habitants du quartier se réunissent et l'un d'eux dit à la fin: "On a mangé du chien, on a bu de l'alcool, on s'est bien amusé..." La lecture de ce récit donne l'impression que le fait d'avoir trouvé ce chien mort et de pouvoir le manger est un élément important de la fête même si les nombreuses libations qui l'accompagnent sont loin d'être négligeables.
Toujours dans le même ordre d'idées mais dans un autre registre, on trouve dans les archives du Quai d'Orsay quelques traductions de manifestes et contre-manifestes datant de l'année 1893, époque où la Corée connaissait les désordres dus au mouvement Tonghak (l2). L'un d'eux qui appelle à une ma- nifestation dit que l'on mangera de la viande de chien (13). Là aussi se retrouve cette idée sinon de fête, du moins de rassemblement convivial. Sans vouloir généraliser cette idée car les mangeurs de chien que nous avons interrogés ne sont pas assez nombreux, et il faudrait sans doute faire une étude plus poussée pour rechercher les motivations du choix de ce mets, les témoignages que nous avons recueillis nous paraissent receler cette idée. Se retrouver autour d'un plat de chien créerait davantage de liens qu'une agape ordinaire.
Alors, les Coréens continueront-ils à manger du chien? Il semble que la consommation soit en légère baisse, sans doute pour plusieurs raisons dont les plus importantes sont le changement d'habitudes alimentaires, les pressions de la S.P.A. locale et des étrangères qui envoient régulièrement des pé- titions soulignant que cette consommation ternit l'image de la Corée et peut-être aussi un amour plus grand des Coréens pour les chiens. Retenons deux symboles de cette caniphilie naissante: la création d'un "village des chiens", village où les chiens sont plus nombreux que les humains, et la présence dans les rues de chiens tenus en laisse ou serrés dans les bras de leur maîtresse, spectacle encore inconnu il y a une dizaine d'années.
Marc Orange
1. Nous ne parlons ici que de la Corée du Sud. Nous n'avons pu savoir si Kim Il song qui présida à la destinée de la Corée du Nord pendant près de quarante ans, a mis fin à cette pratique...
2. Je tiens à remercier M. Ra Gil-joo qui a bien voulu me procurer une cassette contenant cette émission.
3. Cette actrice, qui est sans doute l'actrice française la plus célèbre en Corée en ce moment, est connue pour son amour des chiens. Son jugement est pourtant resté modéré: surprise par cette pratique, elle a simplement souhaité que les Coréens y mettent fin le plus rapidement possible.
4. On notera que par dérision, certains Coréens appellent maintenant ce type de restaurant Bardot-t'ang, "soupe de Bardot".
5. On recense une douzaine de manières d'accommoder la viande de chien.
6. Il semble qu'autrefois le chien ait été tué, enveloppé de paille, avant d'être pendu. On mettait alors le feu à la paille et lorsque celle-ci était consumée, l'animal était débarrassé de ses poils.
7. Il faut rappeler ici qu'il y a en Corée un équivalent de la Société protectrice des animaux, la Tongmul poho hyophoe, qui milite pour la cessation de cet abattage, dénonce les abattoirs clandestins, et demande que le chien soit mis sur la liste des animaux à protéger
8. Les vertus de la viande de chien sont citées dans le Tongui pogam (Miroir précieux de la médecine orientale) qui est le grand classique coréen de médecine traditionnelle
9. Traduction Couvreur in Mémoires sur les bienséances et les cérémonies (Editions Cathasia), tome II, pp. 664-665.
10. Traduction Couvreur in Cérémonial (Editions Cathasia), p. 166.
11. Traduction française dans Marc Orange: Une femme à la recherche d'une illusion et cinq autres nouvelles (Editions Eibel/Fanlac, 1980), pp. 235-279.
12. Mouvement révolutionnaire et nationaliste qui s'est opposé à l'introduction des idées occidentales en Corée, d'où ce nom de Tonghak (science de l'Est) pour s'opposer au Sohak (science de l'Ouest)
13. Cf. Correspondance commerciale, Séoul, vol. 2 (1893-1901), fol. 56.
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