LA CORÉE d'IM Kwon-taek

Par Jean-François RAUGER Directeur de la programmation de la Cinémathèque Française.

La rétrospective en dix-sept films consacrée à lm Kwon-taek, qui s'est tenue à la Cinémathèque française du 7 juin au 1 er juillet 2001 a, sans aucun doute, constitué une étape importante dans la reconnaissance du cinéaste en France.

Un intérêt marqué de la presse, un "bouche à oreille" favorable, comme une conséquence de la surprise ressentie parfois à la première vision de ces films, ont fait de cette manifestation un succès (avec près de 2000 spectateurs en tout) compte tenu de la petite notoriété du cinéaste.

Le caractère tardif de la découverte d'un artiste de cette ampleur et qui réalise des films depuis plus de quarante ans a sans doute plusieurs causes qui se sont cumulées. La difficulté pour le cinéma coréen à s'imposer sur le plan international en est sans doute une, heureusement désormais contrariée par la prise de conscience de l'existence d'une production spécifique qui n'est pas seulement composée de produits d'imitation populaires des formules à succès des autres ciné- matographies d'Extrême-Orient (comme elle s'en était fait la spécialité), mais d'auteurs singuliers que les structures locales de promotion du cinéma (la Korean Film Commission) ont désormais tenté de faire connaître notamment à travers les grands festivals internationaux. L'émergence, par ailleurs récente, de jeunes signatures (Hong Sang-soo, Kim Ki-duk) et d'un érotisme cinématographique estampillé (L'Île, Fan- tasmes) a contribué à une affirmation de la cinématographie coréenne sur le plan international, émergence dopée par la publicité faite au mouvement récent des cinéastes protestant contre une menace de suppression des quotas qui garantissent une certaine présence du cinéma national sur les écrans locaux.

Photo: Daniel Keryzaouen

 C'est au Festival de Berlin, en 1982, que fut découvert Mandala, plus tard, le Festival de Ve- nise montra La Chanteuse de Pansori en 1994. C'est avec le Festival de Cannes, sans doute, que le rendez-vous fut manqué, puisqu'il faudra attendre 2000 et la présentation du Chant de la fidèle Chunhyang pour qu'lm Kwon-taek fasse partie de la sélection officielle.

Entre-temps. les organisateurs du Festival des Trois Continents à Nantes contribuèrent de leur coté à la découverte du nom de l'auteur de La Mère porteuse en montrant une rétrospective de 13 films en 1989.

Pourtant, si lm Kwon-taek eut du mal à s'imposer en France ce n'est pas seulement en raison d'un manque de vigilance de la part des grands festivals, des distributeurs ou des chaînes de télévision. La raison en est plus profonde, elle tient sans doute à la nature même du cinéaste et de ses œuvres, qui s'est vraisemblablement heurtée aux réflexes cinéphiliques hexagonaux. En effet, lm Kwon-taek n'est pas assimilable à une éventuelle nouvelle vague coréenne. Il filme depuis 1960 et son cinéma n'affirme pas une volonté de rupture formelle ou thématique avec une certaine tradition, pas plus qu'il n'lmpose, a priori, une volonté de transgression particulière. La nouvelle vague asiatique contemporaine, qu'elle vienne de Taiwan, de Hong-Kong ou de Chine continentale, s'est signalée notamment par un rapport particulier aux images, une absorption des différents statuts acquis par celles-ci après passage par la grande fiction classique puis par le maniérisme publicitaire et une régurgitation en une forme nou- velle, enrichie d'acquis divers où le simulacre n'empêche pas la force documentaire. Rien de tel chez un réalisateur qui se situe bien en-deça de cette probléma- tique. C'est sans doute son statut de cinéaste traditionnel, par surcroît longtemps cantonné dans les genres, ayant gardé même dans ses films plus personnels une capacité à intégrer les exigences d'un tournage rapide et d'une évidence narrative, qui a empêché lm Kwon-taek de bénéficier de cette reconnaissance. Avoir réalisé 97 films en quarante ans contrarie l'idée commune, et bien éloignée d'ailleurs de ce qu'elle fut à l'origine, de l'auteur au cinéma. L'apparente hétérogénéité d'une filmographie pléthorique n'a sans doute pas contribué à ce qu'il soit l'objet de l'attention qu'il mérite. Le réalisateur a eu beau jeu de rejeter sa période pure- ment commerciale au profit de titres considérés comme plus personnels, son parcours même ne pouvait que le maintenir loin de la considération commune des amateurs de cinéma en Occident. D'une certaine façon, lm Kwon-taek existe depuis trop longtemps pour que son cinéma ait pu être facilement reconnu.

Les dix-sept films présentés à la Cinémathèque reflètentils vraiment son œuvre? Une telle question est a priori absurde même si les titres présentés témoignaient tous, à des degrés divers, d'un art de la mise en scène parfois discret, quelquefois trivial, souvent brillamment efficace et essentiellement juste. Les films avaient tous été réalisés entre 1978 et 2000, soit la deuxième moitié de la carrière du cinéaste. Mais à regarder certains d'entre eux, comment ne pas être frappé par une difficulté de datation précise, tant la technique employée semble n'avoir pas toujours intégré des figures de style contemporaines de la production. C'est ainsi que certains titres des années 80 se signalent par des procédés de mise en scène oui pouvaient alors avoir l'air obsolètes (comme l'utilisation du zoom qui n'est pas pour rien dans l'inquiétante beauté du Village des brumes réalisé en 1982). Ce refus de se glisser dans une forme précise et ouvertement "moderne " donne un sentiment très particulier de vague intemporalité d'un style.

Cette deuxième partie de l'œuvre de l'auteur du Chant de la fidèle Chunhyang (2000) correspondrait donc à une période plus personnelle du cinéaste, un adieu à ces films de genre (guerre, films de sabre, policiers) avec lesquels il a débuté sa carrière malgré quelques exceptions comme ce Fils du général (1990), récit de l'ascension à coups de poing d'un jeune gangster, mais au sein duquel on voit bien que le réalisateur se pose des problèmes de représentation de la violence en esquivant, à certains moments, un spectaculaire attendu au profit d'une discrète stylisation.

Certes l'unité évidente de ces dix-sept films est peut être un rapport plus ou moins étroit à l'Histoire, au sens large, de la Corée. Est-on un corps ou une âme? se demande !'héroïne de Viens, viens, viens plus haut, (1989), récit d'initiation devenu véritable essai philosophique. La question de cette dualité est au centre du cinéma d'lm Kwon- taek, entendue au sens large, entre donc l'histoire de la Corée (le corps) et sa représentation imaginaire (l'âme). Un film comme La Fille du feu (1983) évoque, par exemple, la puissance obstinée du chamanisme, d'autres comme Mandala (1981) ou Viens, viens, viens plus haut traitent du rôle du bouddhisme dans la pensée coréenne. Le féodalisme est au cœur de la Chronique du roi Yonsan (1987) .

Les déchirures du XXe siècle constituent le centre de Gilsodom (1985), émouvant et cruel récit de retrouvailles (de très nombreuses familles coréennes furent séparées après la guerre) mais aussi de La Poursuite de la mort réalisé en 1980 (la vengeance impossible d'un ancien policier contre le partisan communiste, responsable de sa déchéance). Le Village des brumes (1982) et Adada (1988) constituent deux chroniques rurales alors que Le Ticket (1986) marie les règles mélodramatiques avec la dénonciation sociale. Enfin, La Chanteuse de Pansori (1993) porte à un haut degré d'incandescence la fusion de la tragédie et de la réflexion sur l'art.

Mais plus qu'une volonté de regarder La Corée, son passé et son présent, sa réalité et son imaginaire, c'est l'énergie déployée par ses personnages qui forme l'unité de l'œuvre d'lm Kwon-taek. L'expression d'un désir sexuel intense, parfois irrépressible constitue chez l'auteur de La Mère porteuse la preuve d'une vitalité irréductible. Ce qui rend son .art profondément humain.

Jean-François RAUGER


Les dix-sept films projetés à la Cinémathèque Française, dans le cadre de la rétrospective consacrée à lm Kwon-taek, ont été: Adada (1988) ; Le Chant de la fidèle Chunhyang (2000); La Chanteuse de Pansori (1993) ; Chronique du roi Yonsan (1987); Mandala (1981) ; Festival (1996); La Fille du feu (1983) ; Le Fils du général (1990) ; Généalogie (1978); Gilsodom (1985); Le Héros caché (1979); La Mère porteuse (1986) ; La Poursuite de la mort (1980) ; Le Ticket (1986) ; Viens, viens, viens plus haut (1989); Le Village des brumes (1982) : Vole haut. cours loin (1991).


Extrait de la revue "Culture Coréenne" N°58 - Août 2001
      Directeur de la publication: SOHN Woo-hyun
       Rédacteur en Chef: Georges ARSENIJEVIC
 Centre Culturel Coréen  - Ambassade de Corée en France
   
      FRANCE-CORÉE - L.ROCHOTTE Octobre 2002

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