La Corée du Sud entre dans la cour des grands
 Un article de KIM Jin-sung pour France-Corée et GEO (PRISMA PRESSE)

Longtemps sous influence, inhibée par la créativité japonaise et l'ascendant culturel des Etats-Unis, la bande dessinée coréenne a produit des séries bon marché, en noir et blanc, décalquées de l'univers des mangas et des comic strips. Une production trop souvent mièvre, et destinée à un public peu regardant sur la qualité du trait et des scenarii.

Mais, depuis une vingtaine d'années, le boom économique et la libéralisation de la société ont changé la donne. De jeunes auteurs explorent aujourd'hui, à travers la satire politique et l'érotisme, des territoires ignorés par la plupart de leurs aînés. Non que les bandes dessinées locales aient eu à subir la censure, comme ce fut le cas pour la littérature et le cinéma. Mais au "pays du matin calme", la BD restait une activité marginale, sans contenu artistique reconnu ni même revendiqué. Un "produit d'importation", privé de la légitimité historique et culturelle dont ce média jouit en Europe.

 

Park Soo-dong

 

Depuis 1972, ce pionnier de la BD coréenne publie une série intitulée "Dolmen", dans les pages du quotidien "Sunday Seoul", Il est le créateur d'un personnage insolite, qui s'amuse à dévoiler l'inconscient des Coréens dans de courtes planches humoristiques.  

Ce dessinateur en relève parfois la saveur d'une pincée d'érotisme. Prophète en son pays, Park Soo- dong a connu une grande réussite, et son graphisme très typé a suscité de nombreux émules parmi ses compatriotes.

Case extraite de GEO Hors série "Le Monde dessiné..."

Actuellement, la situation incite à un optimisme mesuré. Même si certains dessinateurs continuent à noircir des cases à la chaîne et se conforment aux attentes d'un lectorat de plus en plus jeune, des œuvres nouvelles voient le jour. Soutenu par des aides gouvernementales (le prix de vente des albums est dix fois moins élevé qu'en France), ce secteur de l'édition a vu son marché se stabiliser. Mais celui-ci reste pénalisé par la modestie des profits dégagés par le "merchandising" -la vente de mascottes, emblèmes et autres gadgets - et l'absence de notoriété internationale des auteurs coréens. Cette carence tient à la médiocrité esthétique de la production courante, peu rémunératrice et peu attractive pour les créateurs. La majorité d'entre eux préfèrent négocier leurs talents auprès des producteurs de dessins animés. En Corée, la valeur économique d'une bande dessinée ne tient pas encore à des critères formels et narratifs. Un groupe de rock a plus d'influence sur le style graphique de la jeune génération que le succès d'un album de BD. Même si ces phénomènes de mode procurent des revenus aux dessinateurs qui surfent sur la vague. Leurs personnages deviennent alors des "avatars" présents sur les sacs à dos, les portables ou les messages électroniques.

Malgré ce contexte infantilisant, des individualités émergent. Les dessins malicieux de Park Soo-dong, publiés depuis trente ans dans un grand quotidien, font désormais partie de l'imaginaire collectif des Coréens.

Park Kwang-soo

Le plus remuant des dessinateurs de la jeune scène coréenne s'est rendu célèbre dès son premier album : "Kwang-soo pense..." Au point de susciter une "génération Kwang-soo". Son trait incisif se veut en rupture avec les mangas japonais. Certains lui reprochent sa naïveté (ou sa roublardise) dans la révolte qu'il affiche envers la société...

Case extraite de GEO Hors série "Le Monde dessiné par les plus grands..."

Un succès partagé par son confrère Park Bong-seong, l'auteur de "Un Homme appelé Dieu", créé en 1996, qui joue, quant à lui, sur l'opposition du Bien et du Mal, et exploite ce registre avec une énergie communicative.

Case extraite de GEO Hors série "Le Monde dessiné..."

Park Bong-seong

Avec "Un Homme appelé Dieu", Park Bong-seong a connu une réussite phénoménale en 1996. Sa maîtrise formelle, à travers un dessin dynamique, d'une grande puissance évocatrice, lui a permis de mettre en scène un univers riche en personnages archétypaux...

... Ses scenarii reposent sur le conflit manichéen du Bien et du Mal, au sein d'un monde onirique et féroce qui n'est pas sans rappeler le nôtre. Le lecteur attend bien sûr de Kangta, le héros principal, qu'il sorte à chaque fois victorieux du combat qui l'oppose aux forces démoniaques.

Pour Oh Sae-young, considéré comme un maître par ses pairs, "la BD coréenne doit chercher à être reconnue comme un art à part entière, quelle que soit la longueur du chemin qui doit nous y mener". Sae- young est l'auteur d'une œuvre naturaliste, dont le "Journal d'une fille" et "Buja". Ce styliste décrit des scènes de la vie provinciale ou urbaine, dont les héros sont des gens "normaux". La finesse de ses récits est appréciée de nombreux lecteurs, qui s'identifient sans peine à cet univers du quotidien.

Au sein de la nouvelle génération, Kim Jae-in et Park Kwang-soo s'avèrent les plus prometteurs. Décomplexés, voire soucieux d'affirmer une identité nationale, ils doivent leur succès au dynamisme de leur trait et à leur volonté de se démarquer des stéréotypes japonais. Park Kwang-soo, auteur de "Kwang-soo pense.. .", passe même pour le porte-drapeau de la jeunesse. Moins démagogue, Kim Jae-in met en scène "Mashimaro", un personnage qui illustre cyniquement l'hypocrisie de ses contemporains. Ce dernier est également présent sous forme de petits films d'animation, sur les écrans du Web, ce qui lui a gagné les faveurs des internautes. Shin Myung-hwan appartient lui aussi à ce mouvement contestataire, mais ce chroniqueur sensible recourt à un style intimiste. Son personnage, "Dogo" (un petit humanoïde dérivé d'un chien), pose un regard lunaire sur la cruauté du monde. Par l'éclosion de ces nouveaux talents, la Corée participe d'une tendance qui touche les pays émergents du continent asiatique, de Taiwan à la Thaïlande.

KIM Jin-sung


Page précédente . . . . . . . . . . . . . . Page suivante

 

FRANCE CORÉE Léon C. Rochotte - novembre 2002


SOMMAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Retour Table Culture