Les Gens


«Moi, Jérôme Stoll, P_DG franco-nippo-coréen… » - INTERVIEW par Christian PERSON :

(DR) - COURRIER CADRES • N° 1496 - 19 JUIN 2003 - Jérôme Stoll, PDG de Renault Samsung Motors

Souvent présenté comme le Carlos Ghosn de Corée du Sud, ce PDG fait partie des managers issus de la globalisation économique. Son objectif ? Fédérer les cultures d’entreprise du français Renault, du coréen Samsung et du japonais Nissan.

Success story.


Courrier Cadres : Le redressement de Nissan au Japon a fait de Carlos Ghosn le symbole du manager interculturel. Comment vous situez-vous par rapport à lui ?

Jérôme Stoll : Il s’agit de deux phénomènes distincts, de par la taille et les enjeux. Renault a investi des milliards d’euros dans Nissan, et cela à une époque ou d’aucuns disaient que c’était une folie, tandis qu’en Corée, il n’était question que de quelques centaines de millions d’euros. J’y vois néanmoins quelques similitudes. Dans ces deux exemples, on observe des entreprises en très grande difficulté.

Dans les deux cas, Renault a tenu le rôle d’actionnaire plutôt que d’opérationnel.

Alors, si l’on me nomme le Carlos Ghosn de Corée, je réponds tout simplement que nous ne jouons pas dans la même division. Quand bien même nous aimons tous deux le football, c’est à des niveaux différents !

CC : Qu’est-ce qui a fait de vous l’homme de la situation ?

JS : La croissance externe de Renault est plus un problème d’homme que d’argent. Trouver ce dernier est facile, mais les hommes, c’est beaucoup plus difficile. J’avais d’une part envie de repartir à l’étranger et d’autre part j’avais participé au redressement d’entreprises en difficulté au sein du groupe Renault. Et je possédais un savoir-faire dans les achats, la finance et le commercial. Par ailleurs, je connaissais bien la Corée et son histoire.

Enfin, Samsung Motors, constructeur à part entière, représentait pour moi un honneur et un challenge extraordinaire, associé à une réelle part de risque : des capitaux venant d’un constructeur européen, un outil industriel conçu par des Japonais et une production effectuée en Corée.

CC : Avez-vous développé une méthode spécifique de management interculturel ?

JS : Avec la globalisation économique, nous sommes de plus en plus amenés à raisonner en termes de globalisation culturelle. Toutes les entreprises du monde raisonnent sur un mode identique.Une entreprise qui ne croîtrait pas et qui ne gagnerait pas d’argent serait condamnée quels que soient les pays.Ainsi, les principes de fond du management sont les mêmes partout parce que transnationaux.

Ce qui change, c’est la manière dont on les met en œuvre en distinguant le fond et la forme.Renault Samsung est un bon exemple de coopération entre trois cultures d’entreprise – celles de Renault, Samsung et Nissan– plutôt qu’entre trois cultures nationales, françaises, coréennes et japonaises. En fait, on observe que les deux réalités, culture nationale et culture d’entreprise, se superposent.

Si l’on considère les cultures d’entreprise de Nissan et de Toyota au Japon, par exemple, ce n’est pas du tout le même topo. Les différences nationales se trouvent ainsi relativisées. Chaque culture possède ses forces et ses faiblesses.Ce qu’il faut, c’est que chacune, au lieu de se focaliser sur les faiblesses, le fasse sur les forces de l’autre. Là, on se situe précisément devant un chantier qui, à mon avis, n’a pas de fin. Un travail permanent qui exige une communication importante afin de positiver toutes ces différences.

CC : La langue officielle de Renault Samsung est-elle le coréen ou l’anglais ?

JS : La langue officielle de Renault Samsung Motors, c’est l’anglais, mais pour les Français, les Coréens et les Japonais, c’est une langue étrangère ! Là encore, tout se joue sur le moyen et le long terme.Nous avons mis en œuvre plusieurs plans d’actions pour améliorer le niveau d’anglais du personnel.

Et ça commence dès le recrutement, puis par un plan de formation important.

Les Coréens veulent se dépasser en permanence : nos employés travaillent leur anglais sur leur temps libre, le soir et le week-end ! Certes, cela dépend de la nature des postes. Les réunions du conseil de direction, par exemple, se déroulent en anglais.

CC : Quelles sont les principales distinctions entre le management en France et le management en Corée ?

JS : Les principales différences peuvent être vues comme les deux faces d’une même pièce de monnaie.C’est un pays dont la population est très jeune et qui a une ambition extraordinaire, démesurée. Ils appellent cela le “can do spirit”(nous pouvons le faire)! Et ce, quelle que soit la difficulté.Le revers de la médaille, c’est que les Coréens font preuve d’une telle confiance dans leurs capacités qu’ils veulent tout faire tout de suite. Ainsi, si l’entreprise décide de fabriquer 500 000 véhicules, les Coréens investiront dans un appareil de production pouvant en produire 500 000, sans même attendre de monter en charge ! Pour eux,aucun doute, ils vont en produire 500 000 ! Alors, en cas de crise comme en 1997, tout explose.

Au contraire, chez Renault, nous avons une culture de contrôle des coûts, mesuré et progressif. Cela a suscité de l’incompréhension au début. On attendait que Renault investisse tout, tout de suite ! Les Coréens pensaient que, compte tenu des ambitions que nous avions affichées, nous allions tout investir sans délai. Or nous voulons investir au fur et à mesure. Pour certains, le développement très rapide du pays donne raison aux Coréens. Cependant, les autres pays ne vont plus se laisser faire ! La Corée ne peut donc plus se reposer sur une croissance à deux chiffres et engager des investissements sur de telles bases.

CC : Renault a longtemps été, en France, une “vitrine sociale”. Allez-vous promouvoir des innovations managériales dans votre entreprise ?

JS : En effet, Renault possède une tradition des relations sociales, mais il faut savoir que Samsung est aussi traditionnellement très avancée dans ce domaine. Dans cette entreprise, il n’y a pas de syndicats mais des représentants du personnel qui siègent dans les ERO (Employee Representative Organisation). Et plus explicitement, ce sont des structures organisées avec à leur tête une sorte de gouvernement des assemblées, lesquelles assurent une représentation réelle des employés de l’entreprise. Tel est le contexte social dans lequel nous évoluons et auquel nous apportons quelques innovations, par exemple le management par la performance.

Enfin, autre caractéristique des entreprises coréennes : l’organisation est verticale et hiérarchique, alors qu’en France nous avons des organisations matricielles, par projets. En Europe, les divisions peuvent travailler entre elles directement. En Corée, l’organisation du travail se fait par séquences, plutôt qu’en parallèle.Mais sur ce point, nous nous heurtons à des pratiques culturelles confucéennes.

Il s’agit d’une organisation verticale et hiérarchique, basée sur la séniorité. Ainsi, on ne parlera pas à quelqu’un d’une autre division sans passer par son chef. Or la décision pourrait parfois se prendre au niveau horizontal pour être ensuite avalisée par la hiérarchie. Je crois qu’il y a là des sources de productivité importantes, encore latentes, dans les entreprises coréennes. Nous mettons donc en place un management favorisant la promotion et non la séniorité.

Propos recueillis par Christian PERSON , en Corée

 

Jérôme STOLL en trois dates :

  • 1954 : Naît à Tunis.
  • 1987: Entre chez Renault à la direction financière.
  • 2000 : Nommé PDG de Renault Samsung Motors.

     

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